Un visage de poupée de porcelaine pointe sous la lumière étouffée de sa couronne flottante. Caelia est belle. Belle d’un sublime fade, superficiel, si pur qu’il en devient si facile à briser. Le moindre trait de mécontentement, la moindre colère ressort sur son visage innocent comme de l’encre renversée sur une toile pourtant parfaite. Et pour ça, tout dans ses traits semble empreint d’un arrière-goût dont la saveur est inconnue, mais indubitablement amère.

A l’ombre, ses cheveux paraissent noisette, à l’instar de ses yeux. Ce n’est qu’à la lumière que leur aspect roussissant ne devient une évidence. Sa peau est blanche, nuancée d’une pigmentation grisâtre qui apporte à son apparence une pointe de morbide.

Son sens de la mode pousse encore plus loin l’ironie de son caractère. Elle aime porter des fleurs, des voiles légers, des bijoux éclatants, elle aime se décorer d’apparats dont la symbolique ne lui sied guère. L’armure qu’elle arbore n’est cependant pas l’une de ses farces, l’acier noir déteint complètement avec toute la douceur de son style et laisse comprendre que ces roses n’appartiennent pas à une jouvencelle. Le message ne saurait être plus clair ; elle est un soldat, l’une des nombreuses mains de l’Empereur.

Quant à cette voix qui lui est si cher, Caelia est une soprano, tant est que l’on se pose la question. Les chants entonnés par la force de sa magie sont doux et beaux comme le son de violons sur la plus fine corde … lorsqu’elle cherche à satisfaire son audience. Sa méthode pour démoraliser est simple, un cri suraigu, d’outre-tombe et à glacer le sang, le genre de son que l’on attend pas de la part d’une gorge d’humain, comme le crissement d’une craie sur un tableau.

« Oui », « Non », « Tue », « Sauve », « Purge », « Punis » … tant de mots d’ordres qui résonnent dans l’esprit de Caelia, encore et encore et encore et encore. Cette voix dite de l’empereur que sa ferveur lui fait entendre ne la quitte jamais, elle murmure à son oreille, guide son âme, sa main. Ce que les plus intuitifs appelleraient de l’instinct se manifeste chez la demi-elfe comme un contremaître constamment derrière elle qui lui dicte tous ses actes.

Caelia ne se rend presque plus compte de sa présence, mais elle l’entend pourtant, suivre ces instructions est devenu un automatisme. Elle ne recule devant rien pour appliquer sa volonté, capable des gestes les plus nobles comme des bassesses les plus froides, sa morale ne connait aucune stabilité.

De par son éducation, ou plutôt, son endoctrinement excessif, Caelia hait par nature toutes les choses de l’occulte. Plus vaste encore, elle ne fait preuve d’aucune tolérance pour la différence. Dans son monde, il n’y a que humains et elfes, le premier est celui qu’il faut sauver, le second est l’adversaire. Elle biaise son propre schéma en faisant un rapprochement simple ; les gens d’Arkheynos sont généralement considérés comme loyaux à l’humanité. Ceux de Luhorn ont simplement choisi le mauvais côté et si la situation l’exige, il faut les éliminer pour leur erreur. Elle prime cependant la loyauté à la race, un elfe qui aurait, soyons fous, juré allégeance à l’Empereur est moins une priorité qu’un humain qui aurait rejoint l’ennemi. Cela ne signifie cependant pas qu’elle traitera le premier comme un égal, au contraire, car on ne peut pas changer son sang. Elle le sait plus que quiconque.

Son but à court terme est le « nettoyage » de la nécromancie, de l’occulte, du mauvais. Son but à long terme … respecter la volonté de l’Empereur, car rien d’autre n’importe.

Au quotidien, il y a peu de choses que Caelia saurait dire qu’elle aime. Elle aime les guerriers assez dévots pour chercher la gloire dans la mort, elle aime les bardes qui font honneur à ce qu’est la musique, les paysans qui amassent le blé avec la satisfaction du travail bien fait. En un mot, elle aime l’ordre, que chaque chose soit à sa place et qu’elle s’y sente bien.

Ce qu’elle n’aime est plus vaste, mais aussi plus abstrait, moins fiable. Ses goûts varient avec son humeur et si elle a décidé de jeter le dévolu de son mépris sur quelque chose, elle ne le retirera pas sans nombre de preuves.

Rejeton d’une souillure. Officieusement. Ce n’est pourtant qu’un mensonge. Il suffit d’imaginer la situation d’une femme humaine, tombée sous les charmes de l’ennemi, qui se retrouve alors à porter en son sein une enfant hybride. Qu’aurait-elle pu faire ? Fuir à Luhorn avec son amant ? De toute manière, celui-ci ne l’aimait certainement pas vraiment. Et puis … l’Empereur regardait. Il voyait ses actions, il la verrait fuir.

Alors, elle mentit, jura que l’elfe l’avait violée, pour sauver sa place à Arkheynos, la grande cité. Le père de son enfant fut exécuté dans l’après-midi et l’honneur fut sauf. Elle garda le parjure pour elle, dès lors, elle s’enfonça dans son mensonge encore et encore. Si bien que lorsque la fille vint au monde, sa mère ne put s’empêcher de grimacer d’horreur devant les oreilles pointues qu’elle arborait.

Abomination, monstre, engeance. Pendant toute son enfance, Caelia n’eut qu’un seul objectif, mériter d’être appelée « mon enfant ». Chaque soir, sa mère lui rappelait sans tendresse l’histoire noble d’Arkheynos, la noblesse de la race humaine et l’aberration de l’existence du sombre, de l’impur et du mauvais. Et avec sa soif de reconnaissance, l’enfant buvait chacune de ses paroles.

A l’Eglise, là où son éducation officielle avait lieu, la semi-elfe ne pouvait pas faire ignorer sa différence. Des oreilles rondes partout, sauf les siennes. Sa persécution suivit, soumise aux moqueries de ses camarades et au mépris de certains prêtres. Pourtant, elle apprenait vite, connaissait chaque prière du bout des doigts, chantait les chœurs aussi naturellement qu’elle respirait. A ses douze ans, les prêtres furent forcés de reconnaître que la plus fidèle enfant de leur parvis était une semi-elfe.

C’est à Pandora qu’elle développa sa haine pour l’occulte et le différent, chaque page tournée de ses grimoires ressemblait à une affiche de recherche, avec la prime de l’honneur à décrocher en récompense. A ses quinze ans, Caelia semblait démontrer d’une certaine affinité avec la magie de l’Empereur, sa voix chantée avait un effet non-négligeable sur son entourage. La direction à prendre fut évidente ; l’Atoll.

On la forma au titre de médecin militaire, ce n’était pas son rêve, mais c’était logique. Ses dons s’épanouirent là-bas, elle devint une apprentie pleine de promesses, protégeant et soignant avec brio chaque cas pratique qu’on lui soumettait. Sans surprise, elle partit dès ses 22 ans servir l’Empereur.

Elle passa de champ de bataille en champ de bataille, survivant à chaque occasion, parfois avec quelques cicatrices en souvenir. La conclusion fut la suivante pour les généraux ; « Elle a beau avoir ses oreilles en pointe, les soldats meurent moins vite quand elle est là ». Alors, finalement, ses confrères et consoeurs d’armes se mirent d’accord sur le fait que c’était une elfe qu’ils pouvaient apprécier. Mais Caelia était déjà passée outre cette problématique idiote. Seul comptait l’Empereur et sa volonté.

Alors, à ses 40 ans, lorsqu’elle vit de ses yeux la défaite cuisante de l’humanité face au Maréchal, la semi-elfe crut que quelque chose s’était brisée en elle. On ne la revit plus sur les champs de bataille.

Mais cette voix qu’elle entendait vint la rassurer. Elle lui dit que ce n’était que partie remise, que la gloire et la vengeance auraient leurs heures et que l’oisiveté était l’excuse du lâche. Elle devait se remettre au travail.

Mortuary. Nid d’impies. Le lieu qui ne méritait même pas qu’on l’associe au saint nom de l’Empereur. La mission était claire, chasser le sombre, apporter la lumière. Briser l’infâmie devenue norme en ces lieux. Elle fit demande expresse d’être postée là-bas et on lui accorda le privilège, avec les ordres suivants ; réguler la malice qui s’y étendait depuis des lustres. Elle est arrivée là-bas six mois avant que son histoire ne commence, décidée à mener sa mission à bien.