De l’Elfe, d’aucuns gardent l’image tenace d’une créature parfaite en tout point, tant par la finesse de son esprit que par la sculpture idéale de son corps, d’un point de vue athlétique et esthétique. Amlach ne donne pas raison à ces affabulations : s’il ne peut de lui-même s’estimer laid ou disgracieux, c’est par la fragilité de son corps qu’il doit bien s’inscrire en faux. Bien qu’il mesure plus de deux mètres, taille honorable mais pas hors du commun dans les standards elfiques, sa carrure est frêle, en-deçà de ces mêmes standards. Cette dernière s’explique par diverses anomalies musculaires qu’il porte depuis sa naissance, probablement dues à l’exposition juvénile, voire prénatale, aux éléments et réactions de la pratique alchimique. C’est pourtant par cette même pratique de l’alchimie aujourd’hui qu’il combat ses douleurs, et feint de pouvoir conserver une bonne posture, aidé de ses potions si précieuses.

Invalide depuis son plus jeune âge, il a assez peu laissé le soleil caresser sa peau, ce qui explique son teint assez blafard. Ses cheveux sont eux d’un blanc albâtre, ce qu’il doit davantage à la génétique ; mais cette couleur semble se ternir toujours plus au fil du temps sous les regards attentifs, probablement à cause d’une vie encore très confinée, ainsi une pratique et une consommation déraisonnables de l’alchimie. Pour ces mêmes raisons, la peau de ses mains semble ternir encore davantage, voire se tacher par endroits, entre les cloques de brûlures. Mais ce sont bien ses yeux qui pourraient laisser le plus circonspect : initialement déjà peu clairs, les fumées et autres relents de ses concoctions semblent avoir “assombri” son regard, son iris s’étant noirci, et la sclérotique qui l’entoure ayant pris une teinte anormale de gris. Mais rares sont ceux qui le remarquent complètement, dans sa boutique peu éclairée ; et ceux qui pourraient le croiser en dehors le croisent souvent encapuchonné, non pas par souci de mystère, mais pour s’éviter les affres du soleil sur sa peau désormais trop blafarde.

Cette description étant faite, il n’est pas difficile de cerner là un personnage atypique, plutôt renfermé, presque marginal. Ses handicaps, et les méthodes choisies pour l’affronter, en ont fait quelqu’un de profondément indépendant, convaincu qu’il est le seul à pouvoir vaincre ses maux. Cette philosophie explique cette réclusion, même après avoir étudié plusieurs années à l’académie d’Arilla, se spécialisant dans la magie de Transmutation, années durant lesquelles il a pu démontrer qu’il sait faire preuve d’un soupçon de sociabilité. Le fait est que sa condition a fait muer un individualisme poussé en lui, puisqu’il ne compte en réalité sur personne pour assurer ni sa survie, ni son bien-être. Pire encore, il peste contre tout ce qui peut réduire injustement sa liberté d’action, lui qui est déjà si limité par sa chair. Lui qui lutte si fort pour se défaire de ces chaînes, il ne peut supporter que d’autres ne lui en imposent de nouvelles dont il ne reconnaisse pas la légitimité.

Par ailleurs, et comme il n'est pas rare de constater chez les alchimistes, Amlach démontre d'une curiosité gigantesque. D'abord professionnelle, puisque pour progresser, et découvrir, il est bien nécessaire d'ouvrir les yeux, rechercher sans cesse toutes les informations utiles à sa pratique, pour parfaire ses formules et en inventer d'autres. En effet, qu'attendre d'un alchimiste sinon d'élargir toujours plus son catalogue, et d'en optimiser les effets divers ? Cet impératif ne lui a pas échappé, et il se livre volontiers à cette recherche perpétuelle si le métier l'exige. Bien évidemment, cette curiosité persiste d'un point de vue personnel, en ce qu'il passe le plus clair de son temps dans quelque grimoire ou autre ouvrage utile à ses interrogations. Généralement, cette recherche cible la magie de Transmutation, celle qu'il a étudiée à l'Académie, afin de maîtriser le plus parfaitement possible les quelques sorts qu'il utilise en soutien quotidien, et élargir ses compétences dans la mesure de ses capacités. Cette curiosité est toutefois purement pragmatique : la vie privée d'autrui ne l'intéresse guère, les rumeurs et autres murmures ne trouvent absolument pas grâce à ses yeux ; seuls comptent ces savoirs précieux, qu'il absorbe autant que faire se peut.

L’odeur enivrante envahit la pièce, une fumée discrète s’échappe du chaudron suintant.

L’Elfe qui se dresse devant laisse apparaître un rictus satisfait, comme si cette odeur seule lui servait de confirmation qu’il avait atteint ce qu’il cherchait. Difficile à dire, tant la luminosité de la pièce est bien trop basse pour que le spectateur puisse se prononcer sur la couleur et le contenu de la mixture remuée dans le réceptacle en cuivre. La seule information qui se dégage est olfactive, une effluve étrangement agréable portée par cette cuisson, qui laisse présager d’une combinaison habile des ingrédients, pour en améliorer l’agrément. Ces derniers, qui reposent dans divers bols, bocaux et sacoches autour de la préparation, sont aussi divers que surprenants pour celui qui n’y entend rien, et ne verrait donc aucune vertu spécifique à ces plantes ou autres produits, organiques ou non, que l’on aperçoit dans le nature sans leur reconnaître la moindre utilité. Seul celui qui trône au milieu de ce décor saurait préciser le rôle précis de chacun d’eux ; peut-être est-il consigné dans les quelques grimoires que l’on peut apercevoir non loin, rangés et classés au-dessus des composants alchimiques. Armé d’une fiole, il s’affaire désormais à contrôler la qualité de la concoction en cours d’avancée, en y attrapant quelques larmes, évitant tout contact avec le fluide, pourtant pas brûlant.

L’alchimiste approche la fiole de son nez et hume ; une grimace commence à poindre sur son visage blême.

Raté. Du moins sa réaction discrète le laisse supposer, alors qu’il semble perplexe, se pinçant la glabelle comme pour stimuler sa réflexion. Que faire pour corriger cette erreur, et ne pas devoir recommencer le processus du départ ? Pourtant, cette potion lui est d’usage purement personnel, en ce qu’elle lui permet de combattre ses douleurs si tenaces ; on pouvait donc supposer qu’elle était maîtrisée. Hélas, comme ces douleurs évoluent avec son âge, la formule se doit d’évoluer, de viser d’autres stimuli et des doses plus puissantes. C’est aussi en cela qu’il se doit de toujours perfectionner son art : comment affronter un mal évolutif si l’on n’évolue pas soi-même ? L’enjeu est de taille, et le personnage est trop avide de connaissances et de perfection pour abandonner cela à une solution trouvée par un confrère, ou un mage. Lui seul trouvera la solution. Soudainement, l’Elfe lève la tête, semble avoir trouvé la réponse à son énigme. Il se saisit d’une pincée de poussière située dans quelque bol proche de lui, et d’une fiole dans une sacoche plus loin, et verse le tout dans son alambic déjà sous le feu. Ces manipulations seraient-elles la clé ? Encore une fois, il est difficile de se prononcer, tant il ne parvient que des vapeurs et des émanations en guise d’informations. Mais les alchimistes les plus aguerris, armés de leur savoir et des sens affutés par l’expérience, savent quelles propriétés trouver, et combiner, parmi ces ingrédients pour parvenir à leurs fins.

Parmi ces arômes étranges qui flottent, et les lumières faibles, la silhouette paraît vaciller, telle une ombre derrière une bougie.

Dans l’attente interminable du résultat qu’il recherche, Amlach semble faiblir. Comme souvent, il se tient debout dans son œuvre, et ce jusqu’à atteindre son objectif ; mais parfois, son corps lui refuse un tel luxe, trop lâche et meurtri pour le soutenir si longtemps, surtout après plusieurs jets. Ses jambes se font douloureuses, et peinent à le tenir encore, tremblantes et prises de crampes par endroits. Devant la fatalité, l’alchimiste se saisit alors d’une chaise haute, sur laquelle il pourrait observer son oeuvre se poursuivre. Son visage déjà taciturne se fait alors plus sombre encore ; il est conscient que la lutte est loin d’être simple, même armé de ses potions. Difficile alors pour lui de ne pas penser aux issues de secours qui pourraient se présenter, dans certaines formes de magie, qui lui permettraient de transcender sa situation si cruelle … Pour l’heure, la potion devra faire son office, et lui devra poursuivre ses recherches. Il a après tout entendu parlé de golems sentients, animés par l’arcane …