Ojdan a une silhouette élancée. Elle n’est pas désagréable à regarder, mais suivant l’opinion commune du Gouffre, elle n’a rien d’une beauté renversante. Un visage commun qui n’inspire rien, personne ne se retournerait sur son chemin, dans un environnement où tout le monde lutte pour sa survie, elle passerait inaperçue. Les ennemis ont tendance à sous-estimer la force qui se cache derrière cet aspect frêle. Chez Ojdan, il n’y a que des muscles utiles. Si elle est capable de se tenir droite et acceptable pour la Haute Ville, ce n’est pas sa posture naturelle. Ses membres, comme dépourvus de tout os, sont capables de se tordre, afin d’atteindre les endroits les plus exigus et évoluer dans les tunnels les plus étroits. Escalader, ramper puis bondir sur sa proie, sa mobilité au sol rappelle celle d’une araignée. Si le corps paraît faible, elle déploie une surprenante force de volonté, un peu à la manière d’un [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] mu par une force occulte, jamais elle ne recule, allant au bout de chaque mission, quitte à en perdre l’usage d’un membre ou sa propre vie.  Son existence entière est vouée au tout puissant Orfèvre, auquel elle prête d'innombrables pouvoirs surnaturels.

Étouffée par les fumées de plasma, bouffée par la corruption, son mal se manifeste par des blessures magiques. Le coassement du mage, bien qu’elle n'ait jamais prononcé la moindre incantation, s’est insidieusement installé, la privant parfois pendant plusieurs jours de la parole. Ce qui, assez ironiquement, lui a valu le nom de Hurlenfer. Parfois, les ténèbres deviennent lumière et la lumière, ténèbres. L'apparition de ces symptômes coïncident avec son intronisation en tant que Sculptrice au sein de l'Élévation. Ainsi Ojdan est convaincue que l’Orfèvre lui a déjà offert un cadeau inestimable, il n’en est rien.

Visuel arme:

Visuel bijou incrusté:

Débrouillarde - Sarcastique - Observatrice - Crédule - Tenace - Vindicative


Abandonnée à son sort, Ojdan a connu l’existence dure de certains enfants des premiers transhumanises. Trop jeune pour recevoir les implants, trop vieille pour accéder à la Haute Ville, on l’a simplement laissée derrière. La vie a limé la nature espiègle d’une enfant pleine de vie, d’entrain, toujours avec le sourire. Dans le Gouffre, il n’y a pas de place pour la crédulité, la moindre faiblesse peut-être fatale, ici, pas de seconde chance. Alors, lorsque Jaha lui a tendu une main intéressée, Ojdan l’a saisi pour sa survie. Elle a appris à ses dépens à ne faire confiance à personne. Enterrant sa bonté naturelle derrière un visage blasé, fatigué d’être abusé, trahi, puis jeté une fois vidé de toute utilité. Par la force des événements, elle fut séparée de Jaha, qui même si elle savait n’être qu’un pion pour l’homme, faisait office de véritable figure parentale, alors, pendant deux jours et une nuit, seule face au monde, elle a pleuré son salvateur à chaudes larmes. Le déchirement réveilla en elle une force insoupçonnée, celle de vivre.

Ce n’est que lorsqu’elle s’arrêta dans un village des Terres qu’elle retrouva brièvement cette personnalité solaire qu’elle avait étant enfant. Aux côtés de Bada, les murs qu’elle avait érigés entre elle et le monde s’effritèrent à mesure qu’Ojdan s’ouvrait. Un jour, elles se mirent en tête de retrouver l’homme aux pouvoirs imprononçables qui devait se trouver dans les galeries. C’est là où tout a basculé. Les terriers furent le tombeau de Bada, laissant Ojdan, une nouvelle fois seule face au monde. La corrompue se replia sur elle-même, érigea ses barrières, décrétant qu’il était trop douloureux de se laisser découvrir, de découvrir son cœur. Cette fois-là, elle pleura des larmes sèches, qui scellèrent sa volonté de demeurer hermétique, pour se protéger. Bada décédée, Ojdan se jura qu’elle réaliserait son rêve. Trouver l’Orfèvre, ou mourir. C’est Vilssar Le Maudit qui a rendu cette rencontre possible. La promesse faite à son amie se cristallisa en une foi sans faille en celui qui incarnait sa libération. Sa libération du deuil, du chagrin, de la solitude. Ojdan, bourgeon malléable ; surprit par son dévouement, impressionna par ses capacités, éclora en Sculptrice de l'Élévation.

L’air est moite, une odeur fétide qui semble émaner des murs eux-mêmes collent aux vêtements sitôt qu’on y a mis les pieds. L’alvéole semble somme toute abandonnée.

« Merde ! » S’exclame la voix, reculant d’un pas ou deux.

Hier, la moitié des torches murales ont été détruites, plongeant la cavité dans une obscurité étouffante.
C’est peut-être ce qui explique pourquoi Ojdan a trébuché sur ce cadavre. Le bougre est méconnaissable, la putréfaction déjà bien avancée. Quelques ossessments ornaient les pans de l’espace rudimentaire, dissimulés dans l’obscurité. Aux dernières nouvelles, Vilsaar devait se trouver ici. Un peu déçue et irritée de ne pas être tombé sur le Sculpteur du premier coup, la trappeuse fait demi-tour et opte pour un camp de fortune en surface.

Là où elle installe son camp, elle y confectionne un feu sur ce qu’il reste du terrier du lapin embroché au dessus des flammes.

« Alors ?
- Personne. »

Son compagnon hausse les épaules et ne la questionne pas davantage. Une fois les deux protagonistes installés autour du feu, une lueur nouvelle anime les traits d'Ojdan. À l’aise, elle fait le choix de se livrer à cet homme.

« Tu sais, peu de personne sont au courant, mais mes parents ont été les premiers à partir là haut, pour la cité volante. » L’homme ne semble pas impressionné, mais opine derechef soucieux de paraître attentif. « J’étais naïve et surtout ignorante de comment les choses fonctionnent ici-bas. Sans Jaha, tu dois forcément le connaître, je serais déjà morte. » Il affiche une mine renfrogné, affirmatif, il le connaît et n’en a visiblement pas entendu que du bien. « Il m’a apprit, autant que pouvait le faire un homme comme lui, comment survivre. J’ai grandi dans la misère, au milieu de la crasse et de la fumée. Jaha m’a donné un toit, ce n’était pas gratuit, je devais voler pour son compte, mais c’était mieux que rien. Avec lui je savais que je pourrais tout surmonter. Ça a été très difficile pour moi lorsque j’ai été obligé de fuir l’Astre vers le terriers. »

Ojdan a prit le soin de déplacer une bûchette dont les cendres iridescentes menacent de s’écraser sur les bottes de l’homme, tout en retournant la viande sur sa broche, elle poursuit :

« Il y avait ce trappeur réputé à l’époque, du clan Boudalan, tu m’as posé la question tout à l’heure, ça a été mon premier maître. Un homme que j’ai longtemps admiré. Je me suis perfectionnée dans la chasse, j’ai appris à mieux comprendre mon environnement. Sa fille, Bada nous rejoignait souvent, on escaladait les montagnes, on déambulait dans le village, à jouer des mauvais tours aux marchands et aux vieillards entre deux chasses. »

Une ombre est passée sur le visage d'Ojdan, nostalgique du son temps passé dans les Terres, ce qui n’a pas échappé à l’homme et est venue titiller sa curiosité, à présent, elle a toute son attention.

« Jusqu’à-ce que Bada me parle des rumeurs sur un homme surpuissant dans les galeries et qu’on décide d’entamer une exploration des terriers dans des zones non minières. Je me souviendrai toujours de comment le plafond s’est effondré sur elle, sans que je puisse rien y faire.
- Et qu’est-ce qu’elle est devenu ? » Questionne l’homme.
« Un an plus tard, j’ai réalisé son rêve.
- Comment ça ?
- Peu importe. » L’homme paraît surpris. Visiblement frustré par cette réponse qui ne répond pas à sa question, mais accepte qu’il puisse s’agir d’un sujet épineux. Sa curiosité désormais piquée, il ne souhaite pas froisser son interlocutrice, de peur qu'elle mette un terme à leur échange.

Face à cet homme qui ne portait pas les buveurs de sang dans son cœur, Ojdan omit volontairement de mentionner les nuits passées à harceler Sinth, l'interrogeant sur son passé. Elle ne pu s'empêcher de penser à elle en cet instant. En rentrant, elle lui offrirait un peu de son sang, pour commencer.

« D’abord Jaha puis Bada, les deux personnes les plus importantes de ma vie, après l’abandon de mes parents, n’étaient plus là. Jaha, je ne pouvais pas entrer en contact avec lui, Bada était morte. J’ai toujours cru que j’avais déjà vécu la pire des misères dans le Gouffre ou dans la poussière des terriers… mais il y a toujours pire, j’imagine. »

L’homme en question a haussé un sourcil, sans qu'Ojdan ne puisse dire s’il a été approbateur ou bien désapprobateur. Quoiqu’il en soit, elle était d’humeur loquace et c’est ce qu’elle ferait, raconter.

« J’ai rencontré Vilsaar le Maudit dans les terriers, un homme de l’Élévation qui a tout de suite cru en moi. Même si nos opinions divergeaient, on avait tous un but commun, on était tous à la recherche de quelque chose de plus grand. On avait tous foi en un seul homme, l’Orfèvre. »

Ojdan a dévoilé son poignet caché sous les amples tissus de sa chemise, afin de découvrir le bijou incrusté dans ses chairs.

« Ça  m’a été offert par l’Orfèvre lui-même.
- J’ai ouï dire qu’il était capable de briser la plus solide des roches par la seule force de la pensée.
- Ce n’est un secret pour personne, l’Orfèvre à des dons dont il ne fait pas systématiquement la démonstration. »

Laissant échapper un soupir d’aise, Ojdan a éclairé le visage de l’homme aux reflets de la lame qu’elle a essuyé consciencieusement. À la lumière du clair-obscur, ses traits, tirés par l’adoration, se révélèrent.

« Ma rencontre avec l’Orfèvre était dicté par les étoiles. Bada a été le premier sacrifice nécessaire afin de croiser nos destins. Il m’a aussi fait un cadeau inestimable. » Ojdan s’est penché, afin de rendre leur échange plus intime, prête à lui faire une confidence. « L’habileté d’inverser la lumière et l’obscurité. Parfois, la lumière se change en ténèbres et les ténèbres deviennent aussi clair qu’une lumière éclatante. »

« Ensuite, tu m’as déjà raconté avoir rencontré une elfe et une rousse. Et bien plus tard, tu m’as raconté comment t’as été donné le nom de Hurlenfer lorsque tu as rejoins l’Élévation . D’ailleurs, ton récit était bien plus précis concernant les terriers plutôt que tes deux longues années dans les Terres. »

Il marque une pause, pensif.

« Et tu te considère toujours membre du clan Boudalan ?
- Oui dans le cœur, mais dans les faits, il y a bien longtemps que je ne mène plus d'activités pour la communauté. D'autant que j'ai été incapable de protéger l’une des leurs. J'ai laissé Bada mourir sous mes yeux, alors que son père me l’avait confié. Parfois, lorsque je me plonge dans ses souvenirs et que je me remémore nos péripéties, j'ai mal en me disant que Bada est morte sans jamais avoir rencontré l’Orfèvre. Une part de moi veut croire qu'elle me voit de là où elle est. Mais souvent, je n'y pense pas, c'est beaucoup trop douloureux. »

Ojdan s'est saisi d’une nouvelle arme avec précaution, sans quitter des yeux son interlocuteur avec une empathie dans le regard qu’on ne remarque pas tout de suite. Puis le silence s’est installé. Chacun connaissant la suite fatidique de cet échange.

« Rien ne presse. » A lâché Ojdan.

L’homme a semblé se décontracter un peu, la pression sur ses épaules s’est relâché légèrement. Pourtant, il sentait son âme défaillir de plus en plus. La colonie de ecdisozoa  qui l’a attaqué a été particulièrement féroce. Ojdan a pu voir le corps de se malheureux se déformer sous la douleur à mesure qu’on dénombrait les œufs pondus sous sa peau. Aujourd’hui elle a décidé de se livrer comme jamais elle ne l’avait fait auparavant, parce qu’elle sait que Lurk emportera avec lui ses secrets dans la tombe.