Maquillage, artifices, bijoux, robes de soie et de satin, foulards aériens, manucures, coiffures raffinées … tant et tant de méthodes mises en place par la noble famille de Cérès pour la rendre présentable malgré sa difformité. On passera sous silence les sessions quotidiennes et traitements magiques qui furent nécessaires pour ralentir la poussée de fourrure sur divers endroits de son corps, notamment sur les joues, les côtés de la mâchoire et le bas du front. Ne restent, après ces soins, que quelques moustaches qui recouvrent ses pommettes, beaucoup trop sensibles pour qu’ils puissent être retirés à la manière de poils ordinaires. Une maigre concession par rapport à tout le pelage abandonné dans ces procédés.

Cela est car Cérès veut ressembler à une personne, pas un animal, elle veut voir l’admiration dans les yeux des gens, pas le dégoût, une décision soutenue par sa famille et motivée par le poste communiquant qu’elle occupe dans la cité flottante.

Incapable de se débarrasser de sa membrane touffue, elle fait de son mieux pour accorder les vêtements qu’elle arbore avec la teinte de celle-ci. A l’inverse de son père, la nuancesombre de ses mèches rend abstrait le lien de famille qu’elle partage avec les Leolen, bien qu’elle soit leur sang, elle les teint régulièrement pour favoriser le contraste entre sa chevelure et sa queue. Au naturel, ses mèches sont plus claires, cendrées et cela la flatte moins que le jais de son cheveu ainsi coloré. Ses yeux reprennent le bleu de ceux de son père, mais leur teinte, plus abyssale, reprend la profondeur de ses pupilles maternelles.

Une autre particularité physique, moins évidente mais au moins tout aussi problématique, sont les canines affutées qui se cachent derrière un sourire légèrement pulpeux. Certaines langues agitées ont autrefois fait courir des rumeurs dictant que la benjamine Leolen serait vampiresse en plus d’une corrompue, ajoutant du sel à la plaie de ses parents. Les auteurs furent largement réprimandés pour leurs bavardages malvenus et cet on-dit fut vite abandonné.

Enfin, et sans doute l’immanquable ; ses oreilles, le joyau qui couronne, sans jeu de mot, la mixité animale de Cérès. Ses pointes en chair se sont redressées sur son crâne lors de sa mutation, avant de se couvrir largement du même pelage blanc qui court habituellement sur son épiderme. Impossible à annuler et largement trop laid lorsqu’épilé, la fille Leolen préféra les garder ainsi, contrôlant simplement de manière quotidienne la poussée de leur pelage.

La multitude de soins qu’elle s’autorise prend donc un temps considérable et a longtemps empiété sur son sommeil. Avant son approche de l’oniromancie, Cérès n’avait aucun moyen de passer une journée complète hors apprêtage sans sacrifier de précieuses heures de repos. C’est en partie pour lui épargner la peine de la fatigue et également pour ajouter quelques atouts dans ses manches que ses parents firent missionner un expert du genre pour que leur enfant puisse apprendre l’art magique des rêves.

Le monde qu’elle a trouvé derrière le voile de la conscience l’a fascinée, émerveillée. Amatrice d’art depuis son adolescence, elle ne comprit réellement sa portée qu’en transcendant la réalité froide. Depuis, Cérès est une rêveuse, idéaliste comme son père, elle se réjouit de l’éventualité d’un jour pouvoir transposer ses chimères dans le monde réel. Elle rêve d’inspirer autrui, elle rêve de faire rêver le peuple cirdannais, de les faire s’émouvoir de ce qui est beau, de ce qui est profond. En un mot, Cérès rêve d’inspiration.

L’inspiration est ce qui la motive, ce qui la fait s’extirper du royaume onirique, la raison pour laquelle elle sort chaque nuit de son lit et consent à fréquenter le monde du réel. Fascinée par l’art, son intérêt s’est vite porté sur la peinture et dans une moindre mesure, la flûte traversière, instrument dont la sonorité lui rappelle l’écho de ses rêves. Sa plus grande qualité est ce goût du beau et cet idéalisme frais qui fait d’elle une lumière du monde artistique.

Une tache d’encre salit ce tableau si parfait de l’artiste pleine d’inspiration. Cérès fait preuve d’une rigidité quant à son appréciation des œuvres, ce qui n’est pas beau, pas agréable à l’œil ou à l’oreille n’est pas de l’art, point. Elle méprise d’un œil distant le peuple du Gouffre, qu’elle juge barbares et incivils. Petite princesse idolâtrée, certains la jugent comme une précieuse aux goûts de snob, dotée des manières qui sont inhérentes à ce caractère. Si elle est trop hautaine à l’appréciation des gens d’en bas, elle s’insère cependant parfaitement dans la haute société cirdannaise.

Sa relation avec les nations étrangères sont mitigées, certaines sont des relations de « je t’aime, moi non plus », notamment avec Iphénia dont le patrimoine culturel la fascine. Elle sait cependant pertinemment qu’elle n’est aucunement la bienvenue sur le territoire en tant que corrompue et se contente d’admirer leur art dans les ouvrages qui leur parviennent. Luhorn est une nation qui ne l’attire aucunement et qui de toute manière, ne voudrait pas la rencontrer, elle les juge comme les gens du Gouffre, sans sensibilité. L’influence de sa tante a grandement nourrit ce ressenti.

Son approche d’Arkheynos est plus nuancée, elle hait autant que Luhorn la brutalité dont ils font preuve, mais trouve dans leur esprit de corps une harmonie unique. Leur acceptation de la corruption a également créé un biais qui fait que Cérès se sent plus proche d’eux que d’autres nations, quand bien même leur culte de la personnalité est … dérangeant.

Elle entretient une loyauté sans faille à sa famille directe et indirecte, ses parents comme les membres du conseil des Cinq. Un profond respect la lie aux sœurs Paracelses dont s’inspire largement sa maîtrise de l’enchantement, et admire d’une amitié sincère, presque familiale, Aros Valrys, qu’elle considère comme l’équivalent d’un oncle après les longs efforts qu’il a déployés pour essayer de la soigner de son affliction. Quant à Beldon Wartimer, elle fait de son possible pour entretenir des relations cordiales avec, mais parvient difficilement à dissimuler son mépris et son ignorance de la basse-ville.

34 ans plus tôt

Voyez les manifestations magiques autour de la roche, sans certitude, je ne saurais dire si elles se sont renforcées, mais en tout cas, je n’ai pas l’impression qu’elles soient plus faibles que le siècle précédent.

Virion Leolen se tenait au milieu des terres, accompagné de quelques officiels et d’une escorte aménagée pour l’occasion. Derrière eux, assez reculée pour ne pas déranger les explications expertes de l’analyste, se trouvait une petite fille aux cheveux cendrés, une petite elfe de sept ans qui baillait. Une voix affirmée mais basse interrompit son geste malvenu.

- Tenez-vous un peu, de grâce, dame Cérès.

Elle hocha sobrement la tête, sans cacher son ennui mortel. C’était une petite futée qui n’avait pas grand-chose de docile, enfant gâtée, elle aimait faire ce qu’elle voulait quand elle le voulait. Alors se tenir droite et écouter pendant des heures des discours qu’elle comprenait à peine … quel ennui.

Son regard fut distrait par un petit mouvement, loin sur sa gauche. Une créature, comme un chien tout blanc aux yeux de l’enfant, venait de pointer le bout de son museau. Cérès fixait la petite bête, mourant d’envie de voir de plus près ce dont il s’agissait. Son nez était fin … à mieux y regarder, ça ressemblait à un renard. Voilà quelque chose de plus intéressant que le discours barbant de l’expert tellurique. Mais Aston, son escorte assignée de l’époque, la surveillait trop étroitement. Et … miracle. Les pierres en lévitation se mirent à bouger subitement, à une vitesse affolante qui manqua d’arracher le bras de l’expert. C’est à cet instant qu’Aston s’avança pour dresser un bouclier magique autour de Virion. C’est également à cet instant que la petite elfe courut à toute jambe vers le renard blanc, sans un bruit.

- Tout va bien, sire ?! – interrogea Aston.

Les yeux de Virion cherchèrent au bas des cuisses du garde.

- Cérès ! Où est passée Cérès ?!

Elle gambadait joyeusement derrière les collines, ayant débuté une course avec l’animal … elle le perdit de vue un instant. Il n’y avait pas beaucoup d’arbres et de buissons autour, mais il y avait quelques terriers. Elle jeta un œil dans chacun d’entre eux, jusqu’à sursauter à la vue de nombreuses paires d’yeux brillants à l’ombre. Sa main s’approcha pour essayer de caresser l’un des renards dont elle venait de trouver la tanière. Mais l’un d’eux glapit subitement, faisant sursauter la petite et créant une opportunité pour que les bêtes s’échappent. Riant aux éclats, la jeune fille continua sa poursuite goguenarde.

La petite horde blanche sauta agilement sur des pierres suspendues au-dessus d’un gouffre, d’une faille. Le regard émerveillé de Cérès se couvrit alors d’horreur lorsqu’elle vit celles-ci tomber soudainement, leur lévitation s’étant interrompue sans aucun avertissement. Plusieurs renards tombèrent dans la faille. Mais quelques grattements attirèrent la jeune elfe plus près.

Au bord de la faille, un membre de la troupe griffait désespérément une roche lisse pour ne pas glisser. L’enfant s’approcha en trombe, essayant d’attraper l’animal de ses petits bras pour l’empêcher de tomber. Mais toutes les pierres n’étaient pas tombées, parmi les plus légères, volant plus haut que les grosses, un débris rocheux resté en suspension dans les airs venait d’atteindre le niveau du sol et frappa la jeune fille sur la tempe, juste au-dessus de l’arcade sourcilière. Assommée, elle tomba dans la faille avec le renard qu’elle avait essayé de sauver, et tous les autres qui y avaient trébuchés juste avant.

Elle n’eut pas l’occasion d’entendre le craquement qui suivit son atterrissage.

Plusieurs jours durant, la fillette avait disparu. Virion et le conseil des Cinq multiplièrent les efforts pour la retrouver, Syllia mobilisa la garde pour rechercher dans les terres, Shael et Imra mobilisèrent leur don divinatoire et l’intégralité des terres furent retournées. Ils la retrouvèrent dans la crevasse, allongée sur des cadavres de renard qui avaient réceptionné sa chute, trois nuits après sa disparition. Elle avait une plaie ouverte juste au-dessus de l’œil, le sang avait coagulé juste à temps pour qu’elle ne s’en vide pas et le côté gauche de son corps, bras et épaule compris, étaient aussi fracturés que les sillons des Terres. Quatre jours durant, elle resta inconsciente tant le choc fut violent … et plus encore fut la magie qui avait empêché sa prompte découverte.

Les flux magiques avaient affecté son organisme, mêlé sa nature à celle des animaux qu’elle avait suivis jusqu’au fond de la faille. Plus d’oreilles de chair, mais des ornements de fourrure, doublés de canines aiguisées et d’une queue touffue. Virion l’amena dès cet instant à Aros, le suppliant de faire quelque chose et de le faire vite. C’est lui qui parvint à rétablir les os brisés de l’enfant, à refermer son arcade … s’enclencha alors une démarche intensive de recherche sur ce qui lui était arrivé. La fille Leolen était devenu une corrompue et l’intérêt d’Aros pour son cas fut soudainement décuplé.

Pendant de nombreuses, très nombreuses années, Cérès fut cachée aux yeux du peuple, sécurisée dans un des laboratoires d’Aros pour qu’il puisse la diagnostiquer et trouver un remède à ce fléau. Shael et Imra passèrent de nombreuses heures avec elle au début de son rétablissement, essayant enchantements et toutes sortes de magies expertes pour la rétablir, mais rien n’y fit. Leur implication diminua au diapason des chances de la soigner. Pour elles, cet état demeurerait permanent.

Aros, lui, était bien plus persistant. C’est lui qui insista auprès de Virion pour la laisser sous sa surveillance et c’est pendant ces années que la jeune fille devint proche de lui, persuadée qu’il mobilisait tout ce temps pour son bien-être. Son intérêt pour son état était immense, et il passa de nombreuses années à ses côtés, étudiant sa « maladie » et son évolution. Après presque une décennie de tentative, il résolut enfin, sous les demandes de plus en plus pressantes de Virion, à faire sortir la petite.

La famille Leolen, d’abord horrifiés, parvinrent à faire le deuil de l’état normal de leur benjamine. Sans autre option, Virion encouragea sa fille à embrasser son état, refusant qu’elle vive à l’ombre à cause de cet incident. Inutile de dire qu’Aston fut rétrogradé suite à cet incident, et on assigna à la jeune femme un garde personnel, Ocilis, qui la suivit dès lors. Ce fut Syllia qui recommanda qu’elle prenne soin de son apparence incontrôlée, pour ménager l’opinion du peuple à son égard. Une routine quotidienne de soin extrêmement chronophage fut établie pour que Cérès ressemble plus à une humaine qu’une créature.

Avec son éducation, il fut évident que les heures de la journée n’étaient pas suffisantes pour l’équilibre de sa vie. De sorte à lui accorder plus de temps, un oniromancien fut missionné pour réduire l’importance de son sommeil et lui permettre de s’en affranchir au besoin. Le cours fit découvrir le monde du rêve à Cérès, qui s’y plongea volontiers. Son intérêt pour l’art en fut décuplé et peu de temps après, elle ajouta à son agenda déjà chargé la pratique de la flûte traversière et de la peinture acrylique.

Ayant alors intégré l’Esprit, elle décupla un talent inouï pour l’enchantement, notamment grâce à l’aide extrêmement exclusive des cousines de Virion qui furent des tutrices d’exception pour l’enfant Leolen. L’assimilation de ces compétences et l’approche basique de l’occulte apporté par l’oniromancien persuadèrent Syllia de lui fournir un enseignement plus profond dans le domaine, lui attitrant un tuteur psyker pour développer ses protections psychiques.

Sa vie adulte commença en suivant les observateurs du Crépuscule en interne, mais les règles étaient catégoriques. Pas un mot, pas le moindre débordement ou elle décevrait sévèrement tout son entourage. Elle s’y plia, comprenant qu’il était impossible en son état de voyage partout où eux iraient. Son assiduité à la tâche lui valut la fierté de son père et après une autre décennie d’assistanat de plus en plus compétent, il décida qu’il était temps de lui donner une mission propre.

Elle resta proche du Crépuscule, intégrant le poste de surveillante territoriale, chargée de monitorer les agissements des ressortissants étrangers dans la cité. Sa passion pour l’art n’échappa pas à sa mère et cinq années plus tard, elle suggéra à Virion de la mettre en charge des organisations communautaires, conventions artistiques, technologiques et autres rassemblements à but progressiste. Malgré de nombreuses difficultés rencontrées de par sa différence, le peuple s’habitua progressivement à son apparence et la plupart des instances familiales supérieures de la cité finirent par apprécier sa contribution.

Proche du peuple de la haute ville, elle est désormais une personnalité appréciée, convoitée à bien des égards et nombre de regards se portent sur elle pour des intérêts divers et variés. Cérès espère au travers de son implication, pouvoir donner au peuple cirdannais quelque chose qui vaut la peine de rêver, quelque chose de sensationnel qui changerait non-seulement la face de la cité pour le mieux, mais également impossible à ignorer pour le reste du monde.