Caranthir semble être extirpé d'une peinture propagandiste d’Arkeynos tant il incarne le cliché elfique parfaitement. Un véritable Lornois sur patte qui ne se distinguait en rien de ses pairs par l'absence de particularité physique notable. Des oreilles longues sans l’être de trop, des traits suffisamment fins pour souligner son appartenance elfique, des yeux d'un vert clair presque jaune, le tout saupoudrer d'une carrure longiligne et une musculature naturellement finement ouvragée, de quoi répugner les humains bossant nuit et jour pour atteindre un tel tracé. Caranthir n'est rien de plus et rien de moins qu'un elfe ce qu'il y'a de plus commun dans le royaume de Luhorn.

Sa seule particularité réside dans ses mains et avant-bras marqué par l'exercice de sa profession, trahissant la nature artisanale de celle-ci. Durant son long et fastidieux apprentissage du travail du bois, le blondinet récolta bons nombres de blessures classiques dans ce corps de métiers reliant a l’expérience s'accumulant. Ses mains furent de moins en moins douces, ses poignets balafrés d'outils ripant, d'écharde vengeresse et autres gestes maladroits propres au néophyte.

Une bouille commune indistinguable de ses congénères par des étrangers du royaume, une stature banale, une voix typique elfique, en résumé :un grain de sable dans le désert.

Bon avec ses amis, impitoyables avec ses ennemis. Encore une fois, rien d'exceptionnelle si l'on omettait son penchant pour un certain sadisme pervers hérité de son éducation baignée dans la haine des arcanistes et de la royauté mise en place. Ce fut son grand-père, rescapé de la bataille de l'or et de l'argent où ce dernier verra sa compagne se faire faucher par un élémentaire de feu.

Le caractère encore balbutiant de Caranthir deviendra l'avatar de la haine et du désespoir de son grand-père, le jeune enfant étant alors une véritable éponge. Endoctriner, la personnalité du luthier s'articule sur deux grands axes parallèles.

Une partie bien plus lumineuse, celle concernant sa dévotion pour le druidisme, son amour pour sa famille, le respect des traditions. Il eut la chance de grandir dans un foyer aimant, choyant le bambin, louant les qualités manuelles de l'enfant qu'il avait été au point de le guider dans cette voie. De plus, Caranthir bénéficia de jeunes années à vivre la jeunesse qui lui était destinée avec ses pairs, dans le cadre somptueux du Bosquet Opalin, étant préservé des guerre intestines du royaume par son grand-père jusqu'en 292.

Rieur, taquin et délicieusement bienveillant avec ceux qu'il estime, Caranthir demeure un être fiable sur qui il est possible de compter.

L'autre facette de sa personnalité, définitivement macabre et morbide ne s'exprime pleinement que lorsque qu'il est question du conflit opposant la Tour d'Argent et le reste du royaume gangrénée par les arcanes. Vouant une haine viscérale à ses elfes ayant a ses yeux tournés le dos à leur tradition, le blondinet est capable des pires atrocités sans sourciller. Ces actes immoraux sont atténués par le fait qu'il considère ceux-ci comme défaillant, contre-nature et inférieur.

À l’extérieur, les oiseaux gazouillaient et se chamaillaient sur une branche à quelques mètres de la fenêtre grande ouverte de l'atelier Hendor. Le soleil s'était levés il y'a peine quelques heures et il faisait profiter le bosquet opalin de ses rayons doux et chaud, tandis qu'une très légère brise rafraîchissante accompagnait cette météo féerique.

Petit à petit, les villageois du bourg se réveillaient, se mettant en route pour cette journée de labeur qui s'annonçait paisible. Ici, la majorité des elfes n'avait pas volontée de posséder des esclaves, cette philosophie avait comme coût de devoir accomplir toutes les taches, de la plus nobles a la moins glorieuse, par eux même. C'était un prix que chaque citoyen du bosquet avait accepté de s'acquitter pleinement.

Caranthir inspira à plein poumon le doux parfum fleuri qui s'échappait du jardin d'Améoliu, un mélange savant de bougainvillier et de jasmin, un délice pour les narines. Le jeune elfe aurait volontiers passé la journée à s'adonner à la lecture dans un recoin du jardinet de sa voisine mais le travail le réclamait. Il ôta d'un geste maintes fois répété sa chemise en lin blanche qu'il accrocha sur un porte-manteau qui était l'une des première réalisation du Luthier. À la place, l'elfe y piocha une chemise plus épaisse aux teintes chocolat, possédant un renfort en cuir.

Le fils Hendor plongea ses mains dans l'eau fraîche du sceau reposant a coté de l'entrée sur une vieille commode. L'artisan passa un long moment par frotter ses mains l'une contre l'autre, avant de simplement les secoués à l’extérieur, non sans un bonjour lancé depuis l’encablure de sa porte ouverte en direction de Ser Minwé en route pour sa garde.

Il pivota en direction de son établi, s'y rendant mollement, laissant sa dextre se balader sur les manches des outils qu'il avait en désordre la veille par manque de volonté. Son autre main s'attarda sur la pièce qui réquisitionnait toute son attention depuis plus d'une semaine, en quête d'une imperfection difficilement discernable à l’œil nu. Son index en repéra plus d'une, la moue de Caranthir virant a la contrariété.

« Tu me donnes bien du fil à retordre, mais je ne compte pas abandonner sans me battre. »

Son menton pincé entre son index et son pouce, il inspectait ses outils. Son attention se porta sur l'élu de son cœur, un rabot. L'espace d’après, il travaillait la pièce de bois brute qui deviendrait un superbe violon unique, accompagnant la douce mélodie des rouges-gorges.

« Tu es combatif. Mais j'en ai maté des plus coriaces que toi. Durant mon enfance, comme tu le sais, mon grand-père ma appris qu'un véritable artisan s’épanouissait dans la besogne pénible, et que ce n'était qu'avec le sentiment d'une dure tache accomplis. Quel elfe d'exception il fut, un travailleur hors pair, un soldat affûté capable de lire les faiblesses de son adversaire en un coup doeil, et d'en tirer profit. Si j'arrivais à ne serait ce qu'être le quart de qui il fut, j'en mourais heureux. Bah, je m'égard, mais pour le cité : ce n'est qu'en se couchant fatigué que l'on sait de quel bois on est fait. Quand je suis fatigué, je m'en flatte. »

Les mouvements de ses avants bras se firent plus insistant tout en gagnant en précision.

« Mon grand-père a toujours été un elfe droit, un parangon de vertu et d'exemplarité. C'est lui qui m'a tout appris. Moi qui pensais tout connaître, quel sot. Je me souviens encore quand il était venu me voir un soir d'une nuit sans lune, le lendemain de l'abominable massacre des humains par les arcanistes. Quelle soirée horrifiante. Bien que ce ne fut jamais revendiqué, la bassesse de l'attaque était leur signature. »

Caranthir s'interrompit pour piocher l'une des pommes dans le panier en osier perchée sur une étagère. Elle avait été déposa par la gamine Uliu, adorable petite demoiselle qui faisait la fierté de ses parents. Caranthir avait réalisé une flûte de pan pour ses 14 ans, gagnant ainsi l'admiration de celle qui n'était encore qu'une adolescente. Le fruit d'un rouge qu'on pouvait prêter de magique avait tout de l'alléchant et l'artisan ne lui résista pas une éternité, le jus sucré de la pomme dégoulinant sur sa langue après qu'il croqua généreusement dedans. La bouche pleine, illustrant ses mots d'un mouvement de poignet, il poursuivit son récit en direction de l'instrument.

Sa poigne se fit plus ferme autour du fruit au point que ses phalanges blanchirent sous la pression. Son regard lui aussi avait changé, laissant apparaître des pulsions diamétralement opposées de ce qui était son caractère dans la commuté druidique.

« La royauté doit tomber, que nos traditions retrouvent leur place. Ils se sont parjurés en acceptant ainsi la magie arcanique, perdant ce qu'il avait d'elfique aux profits d'émotions bestiales et indigne, en plus de se fourvoyer dans une guerre coûteuse en vie contre les humains. Tout cela pour quoi ? La gloire et la soif de conquête ? »

Un profond soupir épuisé traversa ses lèvres, illustrant toute la lassitude des discours expansionnistes beuglé sur des estrades durant des assemblées par des fous impies gangrenées par les arcanes. Doucement, il s'approcha à nouveau de sa création. Le jeune elfe avait façonné une ébauche de violon à partir d'une souche d'un vénérable chêne qu'il avait abattu quelques semaines auparavant. Ses mains apposèrent sur le futur instrument. Ses iris verts se baladaient sur son travail.

« Et toi, en sachant tout cela, tu as souhaité rejoindre l'académie Arilla. Quelle traîtrise, pourquoi avoir enfoncé une lame dans mon cœur, le jour de notre rencontre, sous l'arbre où je t'ai déclaré ma flamme. Que t'avais je dis déjà... Ah oui... Si tu savais combien je t'aimais, jamais de moi tu ne t'éloignerais. Et pourtant... »

Le fils Hendor secoua mollement sa caboche, sa tignasse blonde aux mèches sauvages vint encercler son visage baissé vers l'instrument.

« Tu voulais rejoindre ceux qui nous méprisent tout en massacrant nos ancêtres... Je vais t'avouer que je n'ai pas eu de peine en frappant ton si doux visage contre l'arbre, encore et encore. J'y ai même trouvé une certaine satisfaction dans l'exercice du juste châtiment, comme si tu te rendais compte à quel point tu m'avais fait mal pour que je cède à cette violence. Tu vois dans quel état je me suis mis par ta faute ? M'enfin, j'imagine que quelques siècles à jouer de la mélodie t'aidera à réfléchir à ton comportement. Quelle tristesse tout de même d'abattre ce si joli chêne. »

Machinalement, Caranthir saisit à nouveau le rabot, reprenant son œuvre, une détermination nouvelle.

« A défaut d'avoir été parfaite dans ta vie, tu le seras dans ta mort... Comme tout les autres arcanistes qui connaîtront le même sort, et ensemble, vous jouerez notre triomphe, à l'unisson. »